Rencontre avec Emmanuelle Parrenin

Avant sa venue à Super Flux #12, nous avons posé quelques questions à l'immense musicienne Emmanuelle Parrenin. Une rencontre passionnante avec une artiste au parcours romanesque.
D'où te vient cette sensibilité pour la musique folk ?
C’est toute une histoire. Moi je viens de la musique de chambre, donc la musique classique à la base. C’est ce que j'ai entendu depuis ma naissance. En fin de compte, quand j'ai découvert le folk, ce fut la rencontre entre des instruments qui avaient une certaine résonance et qui me touchaient aussi directement. Et puis, avant de découvrir la musique traditionnelle française et la musique folk, j'ai écouté à l’adolescence – comme beaucoup à l’époque – la musique américaine, et surtout le blues. À Paris, j'ai découvert l’American Center où il y avait un hootenanny*, sorte de scène ouverte sur inscription où les gens pouvaient jouer deux morceaux. Et c’est là-bas que j’ai découvert assez tôt (je devais avoir 16-17 ans) des instruments que je n’avais encore jamais vus ni entendus, notamment la vielle, la cornemuse, etc. Cette résonance dans le corps m’a vraiment touchée fortement. Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu une vielle, je me suis dit : « Je veux faire ça ! ». Ma sensibilité pour la musique folk, que l’on appelait plutôt la musique traditionnelle à l’époque, vient aussi de sa transmission orale. J’aimais aller collecter les chants dans les campagnes profondes, jusqu’au Canada dans des endroits très isolés. Voilà. Les rencontres, la recherche de patrimoine et la tradition orale en fin de compte.
*Un rassemblement de musicien·nes folk de caractère festif aux États-Unis
Serais-tu d'accord pour nous parler de ta rééducation suite à une perte de l'audition ? Il semblerait que la musique y ait joué un rôle majeur.
Quand je me suis retrouvée sourde, ça m’a ouvert une autre écoute, disons proche de ce qui ne se voit pas. Je ne vais pas revenir sur l’origine mais, voilà, j’ai donc eu une période de ma vie où j’étais complètement sourde, vivant dans un chalet d’alpage en montagne, en Haute-Savoie, sans eau courante ni électricité. Le fait d’être dépouillée de beaucoup de choses matérielles, au milieu de la nature, complètement isolée, mais avec mes instruments, eh bien ça m’a permis de m’ouvrir à une certaine écoute. J’ai joué sans m'entendre, mais tout en sachant ce que je jouais, donc en mettant ma voix en résonance avec ce que je jouais. Voix bouche fermée pour la résonance crânienne. Petit-à-petit, j’ai commencé à ressentir les résonances d’abord dans le corps. J’y passais énormément de temps, toute la journée : j’ai fait par intuition tout ce que je ressentais qu’il fallait que je fasse. Je me suis quand même acharnée. C’est donc le travail de la mise en résonance d’un instrument avec la voix, dans le corps.

Quel est ton rapport au chamanisme aujourd'hui et comment l'as-tu inséré dans une démarche artistique ?
Bon, actuellement, avec le chamanisme, il y a de tout : il y a à boire et à manger. J’en vois qui se disent chamane après un stage de deux jours. C’est un mot que je n’ai plus trop envie d'utiliser, d’une certaine manière. Sinon, je pense à cette période où j’étais en pleine nature – ça m’est aussi arrivé de me retrouver dans le désert – c’est-à-dire une période où j’étais à l’écoute de ce qui ne se voit pas. C’est faire le pont entre le visible et l’invisible. Donc sans pour autant me dire que j’étais chamane, je pense que j’ai toujours eu ce côté-là : parler avec tous les éléments. Parler aussi bien avec un brin d’herbe qu’avec le soleil, le vent, l’eau, etc. C’est quelque chose qui est normal pour moi, depuis toujours. Sauf que, actuellement, je vis en ville à Paris et je souffre beaucoup de ce manque de nature *rire*. Comment j’ai intégré le chamanisme dans ma démarche ? C’est en fait un état que l’on essaye de transcrire avec la musique. En parallèle, je donne des stages pour apprendre à aller au centre de soi et s’ouvrir aussi à d’autres possibles.
Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Colin Johnco ?
C’est tout à fait le hasard. Je venais de sortir un disque avec Étienne Jaumet et Eat Gas, et on devait faire un concert sur un bateau. Finalement, Étienne Jaumet ne pouvait pas, donc c’est Gas qui a appelé Colin que je ne connaissais pas du tout. Voilà, on s’est retrouvé à faire un concert au pied levé dans un bateau. Il a mis simplement des effets sur mes instruments, ma vielle notamment. Ça m’a ouvert autre chose, ça m’a vraiment intéressée. Alors, à la fin du concert, je lui ai dit que ça me plairait de continuer cette recherche. Colin était intéressé aussi, parce qu’il ne connaissait pas du tout la vielle à la base. C’est comme ça qu’on s’est rencontré·es. Ensuite, on a fait des essais puis un disque,Targala (sorti en 2022 chez Johnkôôl Records).

Concernant ton projet artistique, quelle différence y a-t-il entre l'expérience du disque et celle du live ?
Ah ! Pour moi, c'est pas du tout pareil. Même s’il peut y avoir des disques issus du live, de l’improvisation – j’en ai fait deux comme ça chez Fou Records. Mais pour moi, c’est très différent, parce qu’il y a le public avec l’expérience de la scène. On ressent le public, ce n’est donc pas du tout la même chose de travailler en studio et de travailler en live. En studio, on a une idée de la musique et des différentes parties que l’on veut faire mais, en live, on est tout nu devant les gens. Les gens, on les ressent, enfin, moi je suis sensible à ça.
Propos recueillis par Mathilde Guesdon
Emmanuelle Parrenin sera en concert au Festival Super Flux, vendredi 4 avril à 20h à MAME, Tours.